Jean-Jacques Dessalines naquit esclave en 1758 sur l’habitation Cormiers
dans le nord d’Haïti. Il se distingua dès sa jeunesse par son caractère d’insoumis et de rebelle
indomptable qui entraîna ses différents maîtres à le revendre à d’autres propriétaires d’esclaves.
Son nom changea ainsi de Cormiers pour Duclos etc., avant qu’un Noir affranchi nommé Dessalines ne l’achète et
lui fît apprendre son métier de charpentier, lui léguant en même temps son nom de Dessalines.
Suite au soulèvement des esclaves de 1791 et pendant les événements
révolutionnaires qui se succédèrent à Saint-Domingue, Dessalines se joignit aux troupes de Toussaint
Louverture et lorsque ce dernier entra au service de la France en 1794, Dessalines le suivit dans cette voie. C’est après
un combat acharné contre les Anglais dans les mornes de Saint Marc, combat au cours duquel les munitions vinrent à manquer
et que Dessalines et Toussaint furent réduits à lancer des pierres contre l’ennemi, que Toussaint nomma Dessalines son
lieutenant.
Toujours sous les ordres de Toussaint et se distinguant par sa bravoure exceptionnelle dans toutes les batailles contre Espagnols et Anglais,
Dessalines atteint le grade de général dans l’armée coloniale française.
En février 1802, après l’arrivée de l’expédition Leclerc
dont la mission secrète était de rétablir l’esclavage et d’éliminer les chefs
militaires indigènes, Toussaint (qui disposait d’agents jusque dans les bureaux de
Bonaparte) déclara la guerre aux Français en optant ouvertement pour l’indépendance de Saint-Domingue.
Suite à l’arrestation et la déportation de Toussaint Louverture en France (juin 1802) et à cause de la fièvre
jaune qui décimait les bataillons français, le général Leclerc décida d’utiliser les 20 000 troupes
louverturiennes au lieu de les licencier et les lâcher dans la nature où tôt ou tard, ils se regrouperaient et se
réorganiseraient contre la France.
C’est dans ces circonstances que les ex-généraux de Toussaint :
Dessalines, Christophe, Clerveaux, Maurepas etc., regagnèrent l’armée coloniale française. Cependant, ils ne
tardèrent pas à réaliser qu’ils s’étaient laissé leurrer et que le véritable sort qui les
attendait était la déportation ou la noyade. Le signal de l’insurrection générale fut alors donné..
Le 13 octobre 1802, à l’issue d’une rencontre au Haut-du-Cap entre les généraux
Dessalines et Pétion (ancien lieutenant de Rigaud, revenu d’exil avec l’Expédition Leclerc), il fut convenu
que Dessalines serait le commandant-en-chef des insurgés. Les généraux Christophe, Maurepas, Romain, Brave, Yayou,
Capois etc., adhérèrent sans tarder à cette entente.
Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1802, les généraux Pétion et Clerveaux enclouèrent les canons du Haut-du-Cap
et rejoignirent Petit-Noël Prieur, chef de bande au Morne Rouge. La guerre totale pour l’indépendance d’Haïti
venait de commencer.
La haute direction des troupes révolutionnaires échut donc au farouche Dessalines que même les généraux
mulâtres qu’il avait âprement combattus pendant la Guerre civile du Sud accueillirent à l’unanimité,
se rendant à l’évidence qu’il n’y avait pas de meilleur choix pour réaliser l’unité
de commandement dans la grande guerre de l’indépendance. L’Union fait la Force fut la devise de la nouvelle armée.
Vers l’indépendance
Considéré par les historiens comme le père de l’indépendance
haïtienne, Dessalines était ce combattant infatigable de la liberté qui commanda, entre 1802 et 1803, une armée
d’esclaves et d’affranchis noirs et mulâtres, déterminés à mettre un terme au régime
colonial impitoyable qui sévissait dans la colonie française de Saint-Domingue.
S’exposant à toutes les intempéries et parfois grelottant sous l’ardeur
des fièvres tropicales, le général-en-chef menait jour et nuit et aux quatre horizons de l’île les
troupes indigènes sous-équipées, mal vêtues et crevant de faim, à l’assaut de l’armée
française, de ses canons et de ses fusils flambant neufs maniés par plus de 22 000 soldats délégués
par Napoléon Bonaparte afin de préserver coûte que coûte la plus riche colonie de la France.
Encerclé un jour avec ses soldats et une partie de la population dans une redoute des mornes de l’Artibonite,
la Crête-à-Pierrot, le général Dessalines brandit une torche par-dessus un
caisson d’explosifs en s’écriant « Que tous ceux qui veulent rester esclaves sortent d’ici…
Je vous fais tous sauter si les Français pénètrent dans ce fort !»
Vivre libre ou mourir fut la réponse qu’il reçut dans un cri assourdissant.
Galopant par monts et par vaux en brandissant l’épée vengeresse de la révolte à la tête de
ses hordes impétueuses, le général Jean-Jacques Dessalines se retrouva, le 18 novembre 1803, en confrontation
directe avec le général français Donatien de Rochambeau qui avait remplacé Leclerc
(victime de la fièvre jaune) à la tête des troupes françaises guerroyant sans arrêt
depuis février 1802 pour conserver la perle des Antilles dans le giron de la France.
C’est pendant la nuit venteuse et pluvieuse du 18 novembre 1803, à
Vertières, dans le nord d’Haïti, que le glas sonna pour l’horrible oppression esclavagiste qui avait pesé
pendant plus de trois siècles sur les épaules de centaines de milliers de Noirs arrachés des côtes de
l’Afrique. Par la brillante victoire de Vertières, les esclaves avaient enfin culbuté les forces coloniales dans
leurs derniers retranchements et l’indépendance d’Haïti fut proclamée et célébrée le 1er janvier 1804 aux Gonaïves. Le nom précolombien d’Haïti
fut solennellement redonné au pays alors peuplé d'environ 500 000 habitants.
Empereur Jacques 1er
Le 22 septembre 1804, Jean-Jacques Dessalines se fait acclamer Empereur d’Haïti
par sa garde d’honneur. Mais sous les splendides costumes de monarque qu’il porte dorénavant, les cicatrices laissées
par le fouet du colon brûlent encore son dos.
Un des premiers actes de l’Empereur fut de changer les couleurs rouge et bleu du drapeau qui avait mené à
la victoire, en noir et rouge.
Constamment escorté de sa fidèle 4ème demi-brigade (essentiellement composée
d’officiers mulâtres), Dessalines ordonna que la ville de Marchand, située loin des côtes, à l’intérieur
des terres de l’Artibonite, fût nommée nouvelle capitale d’Haïti.
Craignant un retour des Français, il fit réparer partout les fortifications
endommagées durant la guerre et en construisit de nouvelles. L’Empereur releva aussi et consolida les fabriques de poudre et
de munitions.
Comme durant sa jeunesse d’esclave, l’Empereur Dessalines était un danseur
extraordinaire qui ne sut jamais résister au son des tambours, se jetant à corps perdu dans la ronde des yanvalou, des petro
et des kongo. Ne se séparant jamais de sa tabatière, il est aussi resté un amateur invétéré de
tabac, celui le plus raffiné des plaines du nord d’Haïti.
Pendant toute sa vie, Dessalines s’attacha à sa tante Toya qui, depuis son enfance,
l’avait éduqué dans les plus strictes traditions africaines. Durant sa carrière militaire,
Dessalines eut de nombreuses maîtresses dont Eugénie Daguilh, la fameuse mulâtresse. Mais le 2 avril 1800, en pleine
guerre civile du Sud, il épousa la femme qu’il aimait passionnément entre toutes : Marie-Claire Heureuse
Félicité qui lui survécut longtemps et mourut centenaire dans la ville des Gonaïves.
Elle était née à Léogâne.
Administration de Dessalines
Titres de propriété : D’après les historiens haïtiens, l’une des premières
mesures prises par l’Empereur fut la vérification des titres de propriété, entreprise périlleuse qui
causa de vifs mécontentements car la méthode la plus employée par des fonctionnaires le plus souvent analphabètes
consistait à humer les actes suspectés d’avoir été enfumés pour leur donner un aspect
vénérable, avant de les détruire.
Impôts :
Selon l’historien J-C Dorsainvil, les propriétaires et les fermiers devaient fournir à l’État
le quart de subvention, impôt territorial qui consistait en autant de fois 250 livres de café qu’il y avait de
cultivateurs valides sur l’habitation. Le deuxième quart des produits du sol était attribué aux cultivateurs,
comme salaire; le troisième revenait au propriétaire et le quatrième à l’exploiteur ou
au gérant.
Des ombres au tableau
Toujours d’après Dorsainvil, le règlement des cultures était des plus sévères.
Sur les grandes habitations, les travailleurs furent armés et organisés militairement.
Selon l’historien Thomas Madiou, le travail forcé était en pleine vigueur, le vol, même
léger, était souvent puni de mort. Les verges, le bâton étaient des supplices redoutés
que les surveillants, les soldats infligeaient trop facilement. Défense formelle de quitter la plantation et défense
de donner asile en ville aux cultivateurs et aux cultivatrices. «Miss Chapotin, d’une famille respectable, fut
accusée d’avoir donné asile à une cultivatrice. Elle fut mandée au bureau de
la Place de Port-au-Prince, condamnée et passée aux verges parce qu’elle ne put compter tout de suite les 12
gourdes d’amende.»
Conspiration
Sur le mécontentement général provoqué par la grave question des domaines, vint se greffer une conspiration de
plusieurs lieutenants de Dessalines.
Au cours d’une visite dans le Sud, l’Empereur aperçut d’énormes tas de bois de campêche qui
contrairement à un arrêté du 22 décembre 1804 interdisant l’exportation de ce bois de teinture,
n’attendaient que des acheteurs étrangers : il les fit brûler.
L’un après l’autre, les conflits éclatèrent entre l’Empereur
et ses sujets et la tension ne cessa de monter dans le tout nouveau pays d’Haïti.
L’assassinat
Le 17 octobre 1806, une embuscade est dressée contre Dessalines au Pont Rouge, à
l’entrée de Port-au-Prince. À l’arrivée de l’Empereur sur les lieux,
des soldats surgissent des fourrés et lui interdisent d’avancer! Dessalines s’élance
sur eux en les frappant de sa canne puis s’effondre, criblé de balles.
Plus tard, une foule ivre de joie se rua sur l’Empereur, le lapidant et le dépouillant de ses
vêtements et de ses armes. On lui coupe les doigts pour enlever plus facilement ses bagues puis on le
hache à coups de sabre. À la nuit tombée, une folle nommée Défilée recueillit dans
un sac les restes de l’Empereur pour les enterrer dans la cour de l’église Sainte Anne de Port-au-Prince.
Selon certains historiens, la mambo et conseillère spirituelle de Dessalines, grann Aloumandja,
l’avait prévenu de ne pas prendre la route de Port-au-Prince en ce jour fatidique du 17 octobre 1806.
Critiques
On reproche à Dessalines d’avoir traqué sans trêve, au nom de la
France, les chefs de bande et les marrons, eux qui furent les véritables pionniers de la lutte anti-esclavagiste.
On le critique aussi pour avoir livré Charles Belair et sa femme Sanite entre les mains du général
français Leclerc en 1802. Ils furent tous les deux fusillés. Héritier politique de
Toussaint Louverture, Charles Belair, officier intelligent aux belles manières, avait suscité la jalousie de plusieurs
généraux indigènes qui ourdirent son arrestation.
Épilogue
L’esclave Dessalines ne savait ni lire ni écrire, mais guidé par une volonté de fer, il écrasa
l’esclavage et réalisa l’indépendance d’Haïti. Aujourd’hui, l’étoile
d’Haïti brille avec éclat dans le concert des nations.