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TOUSSAINT LOUVERTURE
De simple cocher à gouverneur-général de la colonie française de Saint-Domingue


Par C. Leloup


Toussaint Louverture Toussaint Louverture, appelé Précurseur de l’indépendance d’Haïti, naquit esclave en 1743 sur l’habitation Bréda, dans le nord de la colonie française de Saint-Domingue. Comme il était chétif et laid, ses petits camarades l’appelaient Fatras-Bâton.

Dès son enfance, Toussaint assiste aux terribles sévices subis par les esclaves entre les mains des colons. Dans sa jeunesse, il apprend l’art de soigner par les plantes médicinales et devient vétérinaire puis cocher de l’habitation Bréda.

Toussaint apprit aussi à lire et à écrire. Envahi par l’émotion, il lut la prédiction faite par l’abbé Raynal, philosophe français des Lumières, d’un Spartacus vengeur de la race noire. En 1770, Toussaint est affranchi, c’est-à-dire qu’il n’est plus assujetti à sa condition d’esclave. Il devient désormais un homme libre sous le nom de Toussaint Bréda.


En 1790, il fréquente les milieux insurrectionnels où ses talents de vétérinaire et de guérisseur à partir de plantes le font nommer «médecin des armées» de Jean-François et Biassou, deux des principaux chefs de la révolte des esclaves qui éclatera et enflammera le nord de Saint-Domingue en août 1791.

Ayant changé son patronyme de Bréda pour Louverture, Toussaint se retrouve en 1793 à la tête d’une armée de 4000 révoltés qui se met, à l’instar des troupes de Jean-François et Biassou, au service des Espagnols occupant la partie orientale de l’île. En guerre contre la France, les Espagnols le nomment vite lieutenant-général pour ses extraordinaires prouesses militaires.

En 1794, ayant reçu l’assurance du gouverneur français Laveaux que la France républicaine était prête à accorder la liberté aux Noirs, Toussaint abandonne l’Espagne pour se tourner vers le camp français. Il harcèle ensuite sur tous les fronts Jean-François et Biassou qui avaient attenté à sa vie dans le camp espagnol, tuant son jeune frère Jean-Pierre Louverture qui chevauchait à ses côtés. «Toussaint ne combat que pour la liberté des Noirs» écrivait le gouverneur Laveaux en 1794.

Désormais rangé avec ses troupes sous le tricolore français, Toussaint Louverture lutte simultanément contre l’Angleterre et l’Espagne. Après avoir desserré l’étau britannique autour des Gonaïves, il livre victorieusement son dernier combat contre Jean-François et Biassou qui seront licenciés avec leurs bandes par l’Espagne lorsque surviendra le Traité de Bâle (24 juillet 1795) par lequel l’Espagne cédait la partie de l’Est de Saint Domingue à la France.

Depuis Paris, la Convention nomme Toussaint général de brigade en remerciement pour son dévouement envers la France. Par un décret du 27 octobre 1795, Toussaint est nommé général de division et reçoit du Directoire un sabre et des pistolets d’honneur.

En mars 1796, le gouverneur Laveaux est emprisonné au Cap par des mutins et une partie de la population. Toussaint arrive aussitôt des Gonaïves à la tête de milliers de soldats noirs et délivre Laveaux qui le nomme ensuite son lieutenant au Gouvernement Général de Saint-Domingue.

En 1797, Saint-Domingue disposait d’une armée 51 000 hommes (48 000 noirs et mulâtres et 3 000 Européens), tous occupant les mêmes casernes et combattant ensemble. Visant le pouvoir absolu, Toussaint Louverture qui avait été nommé général en chef de cette armée par le commissaire civil Sonthonax, délégué spécial de la France, força celui-ci à s’embarquer pour l’Europe le 24 août 1797. Sonthonax gênait ses pieds tout simplement.

Toussaint Louverture_ En 1798, le général Louverture négocie la reddition de l’armée britannique qui occupait l’ouest de Saint-Domingue mais il permet en même temps l’accession de l’île aux navires de commerce britanniques alors que la guerre faisait encore rage entre la France et l’Angleterre! Cette initiative, considérée comme un acte d’insubordination grave, lui vaut la réprobation et l’hostilité de son supérieur hiérarchique, le général français Hédouville qui autorisera le général mulâtre André Rigaud, en contrôle du sud de l’île, à contrecarrer en toutes circonstances le général noir Toussaint Louverture, malgré la fonction de gouverneur-général de la colonie qu’occupe ce dernier.

Le 23 octobre 1798, c’est au tour du général Hédouville (ex-chef d’état-major du général Hoche, pacificateur de la Vendée, et envoyé spécial du Directoire pour mater Toussaint et faire régner l’ordre colonial) d’être expulsé par le rusé Toussaint.

Des milliers de Blancs, effrayés par la tournure des choses sur la scène saint-dominguoise, quittèrent aussi, séance tenante, la colonie.

Entre 1799 et 1800, la Guerre du Sud éclate entre les généraux Toussaint et Rigaud. L’armée du nord menée par Toussaint assisté de ses généraux Christophe et Dessalines, envahit la partie sud de Saint-Domingue. Rigaud était assisté de son lieutenant, l’officier-artilleur Alexandre Pétion et des officiers-généraux Beauvais, Faubert etc.

André Rigaud, né en 1761 aux Cayes, dans le sud d’Haïti, avait été éduqué à Bordeaux, en France. Il participa à la guerre de l’indépendance américaine dans le Corps des Chasseurs Volontaires de Saint-Domingue.

Disposant d’une armée plus nombreuse et bénéficiant du soutien stratégique des flottes américaine et britannique qui empêchaient tout ravitaillement des troupes de Rigaud et des populations, Toussaint remporta la victoire. Rigaud dut s’exiler en France avec sa famille. Environ 15 000 personnes périrent au cours de ce conflit.

Le terrible siège de la ville de Jacmel par l’armée du Nord est la marque horrible laissée par cette guerre dans l’histoire d’Haïti telle une cicatrice indélébile. (La population réduite à se nourrir d’écorces et de racines, de cadavres de chevaux, de mules et de chiens n’eut plus bientôt à manger que le cuir de leurs chaussures et des selles restées encore sur les carcasses des chevaux) Cette malheureuse guerre civile endommagera à jamais les rapports entre Noirs et Mulâtres de St-Domingue, puis de la République d’Haïti.

L’objectif suivant de Toussaint était d’aller occuper la partie Est de l’île de Saint-Domingue. Lorsque le représentant de la France, le commissaire Roume, refusa de consentir à ce projet, Toussaint le fit enfermer dans un poulailler. L’armée de Toussaint Louverture forte de 25 000 hommes envahit victorieusement la partie orientale de l’île en janvier 1801. Les clefs de la capitale Santo-Domingo furent solennellement offertes au général noir et c’est dans la cathédrale même de cette ville que l’irrésistible conquête de l’Est par l’ancien esclave de Bréda fut ensuite célébrée au cours d’un vibrant Te Deum.

Le général Toussaint Louverture régnait désormais sur l’île entière. Dès son retour de la toute nouvelle province orientale, il fit voter la Constitution de 1801 qui, dans les faits, proclamait l’autonomie de l’île de Saint-Domingue et lui attribuait au nom «du peuple désormais réuni» le titre et les fonctions de Gouverneur-général-à-vie avec le droit de désigner son successeur.

Sur ces entrefaites, en France, le régime flou du Directoire s’effaçait devant la puissance grandissante de Napoléon Bonaparte après le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799). D’anciens colons de la riche colonie de Saint-Domingue dépossédés de leurs propriétés acheminèrent vivement leurs plaintes et leurs doléances par-devant le bureau du Premier-Consul. Ranimant la convoitise, Saint-Domingue se remit à briller de tous ses feux aux yeux des nouveaux dirigeants de la Métropole et des aspirants colonisateurs de tout acabit.

Fin 1801, quatre-vingt-six vaisseaux de guerre portant 22 000 soldats étaient prêts à être lancés sur l’île de Saint-Domingue. L’amiral Villaret-Joyeuse, avec sous ses ordres une pléiade de brillants contre-amiraux, commandait cette formidable flotte.

D’ores et déjà nommé capitaine-général de Saint-Domingue et Général en chef de l’armée, Leclerc, beau-frère de Bonaparte, assisté d’une douzaine de généraux triés sur le volet, se destinait à croiser le fer avec Louverture et rétablir l’ordre colonial.

Dans les premiers jours de février 1802, l’Expédition Leclerc mouilla dans les principales rades de Saint-Domingue. Toussaint qui s’attendait à cette dangereuse invasion avait prévu une guerre d’usure pour la contrer. Ses directives à ses principaux généraux (Dessalines, Christophe, Maurepas, Vernet, Magny, Lamartinière) étaient d’incendier les villes et les plaines, de les évacuer et de gagner les mornes. Plan qui fut mis à exécution dès les premiers coups de canon échangés entre les deux armées.

Une guerre de partisans acharnée s’ensuivit du côté des bandes rebelles et des indépendantistes. L’armée régulière de Toussaint se désintégra dans ces conditions. Son chef fut déclaré hors-la-loi avec toutefois le choix de se soumettre à Leclerc qui l’invita même à se métamorphoser en conseiller de l’extraordinaire expédition punitive.

Mais Toussaint préféra se retirer sur ses terres d’Ennery en s’entourant de ses gardes changés en cultivateurs «paisibles» jusqu’à nouvel ordre. Cependant la résistance faisait rage dans les montagnes sous l’emprise de chefs de bandes africains tels que Scylla, Sans-Souci, Petit-Noël Prieur, Saglaou etc., en même temps qu’une épidémie de fièvre jaune ravageait les troupes de Leclerc. On soupçonna vite Toussaint d’avoir déclenché, depuis ses bases secrètes, ces calamités qui entravaient sérieusement les actions du corps expéditionnaire. Sa déportation en France fut décidée.

Le 7 juin 1802, le général français Brunet, prétextant consulter Toussaint sur des questions d’ordre administratif, lui donna un rendez-vous sur l’habitation Georges près des Gonaïves. À peine arrivé sur les lieux, Toussaint fut arrêté, conduit aux Gonaïves et embarqué sur le vaisseau La Créole en partance pour le Cap.

Arrivé au Cap, l’illustre prisonnier est transféré sur le vaisseau Le Héros où l’attendait toute sa famille prise au piège le même jour que lui. Une fois sur le sol français, Toussaint Louverture fut brutalement séparé de sa famille et enfermé au fort de Joux sur les cimes glaciales du Jura. Il y mourut le 7 avril 1803.





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